Le danger de l’entêtement managérial

Ce qui menace une entreprise trop habituée à dominer son marché, c’est une dissociation par rapport au monde alentour, lequel, de par sa nature même, change, évolue, et auquel donc il faut toujours être prêt à s’adapter. À défaut d’être capable de cette adaptation, le mauvais manager s’entête dans une ligne de conduite erronée. Et dans ce cas, plus vous continuez dans une ligne de conduite, aussi stupide soit-elle, moins vous êtes disposé à la changer. Car la changer serait interprété comme une reconnaissance d’erreur, et la reconnaissance de l’erreur est souvent vécue comme la première étape de la perte de votre position jusqu’alors dominante.

Alors, quand votre équipe vous demande ce que vous pensez qu’il faudrait faire, eh bien, le seul fait de ne pas comprendre la dynamique d’une crise conduit à votre impuissance à proposer une solution sensée. Très vite, on en arrive à un comportement qui ressemble à celui du lapin sur l’autoroute, ou d’un capitaine qui ne sait pas comment échapper à un naufrage : il vaut mieux rester sur un navire en perdition dans l’espoir d’être secouru que de sauter à l’eau à l’aveuglette. En pensant que peut-être un miracle se produira.

La dynamique de groupe en période de crise

Dans un tel contexte, on observe souvent un phénomène bien connu de la dynamique des groupes. Face à la peur et à l’incertitude, la solidarité en vient à être considérée comme une fin en soi, et personne ne veut être accusé d’affaiblir l’entreprise ou de renforcer la concurrence. Quitte à se tromper, il vaut mieux, autant que possible, se tromper en compagnie du plus grand nombre. Il y a de nombreux facteurs dissuasifs à être le premier à suggérer que les choses semblent peut-être assez sombres, et en tout état de cause, qu’iriez-vous proposer à la place ?

Et plus haut vous êtes placé, plus cela est vrai, plus vous êtes exposé à l’isolement et à la pensée de groupe. Tout le monde dans votre équipe, tous les experts que vous rencontrez disent la même chose : ce n’est pas possible, l’entreprise ne peut pas sombrer. Partout où vous vous tournez, vous recevez les mêmes messages, et votre personnel rédige les mêmes messages pour que vous les transmettiez aux autres. Comment pourriez-vous ne pas finir par vous convaincre que tout cela est vrai ?

C’est qu’en vérité, le recours toujours croissant à des conseillers liés à la fortune personnelle du manager senior signifie à la fois que les conseils professionnels sont de plus en plus exclus et que les conseillers sont souvent sélectionnés et promus parce qu’ils sont prêts à donner les conseils que les plus hauts responsables veulent entendre.

L’importance d’un management de crise adapté

C’est pour cela qu’en cas de crise grave, on fait parfois appel à un manager de transition. Quel en est le principe ? Quand tout va bien, le rôle des cadres et dirigeants n’est pas de se préparer à une crise. Il y a aussi mille autres questions liées aux budgets, aux programmes, au personnel, aux contrats, et bien d’autres choses encore. Il est évident que dans les périodes de prospérité tranquille, comme on en a connu au temps des Trente Glorieuses, on n’a pas tendance à chercher un manager simplement parce qu’il a des compétences présumées en matière de gestion de crise.

Mais il en est du monde de l’entreprise ce qu’il en est des armées : très souvent, les chefs militaires sont remplacés en bloc au début d’une guerre. Certains commandants peuvent s’avérer être des combattants naturels et d’autres non. Les changements de personnel généralisés sont donc fréquents car la tâche est très différente : nous l’avons vu avec l’armée russe depuis le début de son intervention dans la guerre ukrainienne en 2022.

Eh bien, c’est la même chose pour un secteur en crise, ou une entreprise en difficulté : il y a des managers parfaits pour faire tourner l’entreprise, et d’autres qui sont d’abord des gestionnaires de crise.