L’une des difficultés du management réside dans la gestion de deux moitiés d’acteurs irréconciliables. Ce qui est praticable, c’est d’engager une politique d’entreprise comme une politique générale en s’appuyant, sinon sur un consensus – rarement trouvé quand il s’agit de pouvoir et d’argent, ce qui est la même chose – du moins sur des majorités claires permettant de prendre des décisions incontestables. A défaut, le management est toujours fragile quand il ne peut pas s’appuyer sur le poids que pèse une décision plutôt qu’une autre.
Le risque managérial : exemples
Choisissons deux exemples récemment observés dans les élections américaine et brésilienne. Aux Mid-terms, s’ils ont pris le contrôle de la Chambre, les Républicains ont échoué aux portes du Sénat, mais alors, à une voix près, qui sera celle de la vice-présidente Harris, comme le prévoit la Constitution, exactement comme le vote d’un président de conseil d’administration peut compter deux fois pour débloquer une situation. On a vu les démocrates se réjouir ne pas eu à subir un raz-de-marée de leurs adversaires, ce que l’on peut psychologiquement comprendre, mais sans réaliser ce qui se manifeste derrière ce quasi- immobilisme des positions : à quelques points près, on en reste aux mêmes moitiés quasiment égales, comme en 2020, deux moitiés rigides qui déjà pouvaient inspirer la crainte d’un affrontement réel.
Car ce qui serait une bonne nouvelle, ce serait au contraire que puissent se produire de temps à autre des mouvements de bascule bien nets, penchant d’un côté ou de l’autre : cela signifierait que des acteurs de la dynamique d’ensemble – ici, des électeurs – sont encore capables de changer d’avis par rapport à leur position précédente. Peu importe dans quel camp on se range, il convient de retenir ceci : la vie politique américaine est devenue très dangereuse pour la paix civile, comme au Brésil où la dernière élection présidentielle a montré deux moitiés de la population se faisant face dans un climat de haine réciproque.
Comment peut-on s’expliquer, par exemple, que la gestion de la grippe chinoise, très interventionniste dans les Etats démocrates, ou au contraire très souple dans des Etats républicains comme la Floride, n’ait eu, dans un cas comme dans l’autre, aucune incidence sur le scrutin ? C’est qu’au fond, peu importe la politique adoptée par les leaders des deux camps, les électeurs s’enferment dans une attitude radicale qui les fige, et refusent toute possibilité de dialogue, de réflexion, de remise en question.
Un climat d’avant-guerre civile s’installe, aggravé encore par l’impossibilité de réformer des règles électorales soit obsolètes – datant de l’époque des cow-boys – soit au contraire trop aventureuses, comme ce vote électronique que l’on s’interdit chez nous parce qu’il ne peut être sérieusement garanti contre le piratage, quand on songe que le site du Pentagone lui-même a pu être piraté il y a vingt ans par une adolescent de 15 ans, Jonathan James, pour ne citer que cette péripétie parmi d’autres. Ce qu’il faut retenir de ces scrutins, c’est le gel des positions, fixant l’opinion en deux moitiés tellement hostiles qu’elles ne s’adressent plus la parole, sinon pour s’insulter face à face dans la vie quotidienne. De fait, on
se sait pas s’il faut se réjouir de ce qu’il y ait souvent des élections – du moins aux Etats-Unis – pour servir de soupape, ou bien si au contraire ces échéances ne font qu’exacerber les frustrations de part et d’autre. Dans les deux cas, le gel des positions augure mal de l’avenir.